La grenouille et la licorne : la fable de la valorisation

Le milliard ! le milliard ! le milliard ! C’est devenu l’objectif, le rêve, le Graal pour les start-ups. Valoir plus d’un milliard d’euros. Vite. À tout prix. Devenir une “licorne”. C’est même devenu une obsession. Mais ces valorisations sont-elles réelles ou faciales, pour ne pas dire factices? Je vous avais promis de traiter le sujet de la valorisation des entreprises : allons-y…

TANT MIEUX

Oui, tant mieux.
Quand on aime les entreprises et surtout les entrepreneurs et les entrepreneuses, on ne peut que se réjouir de cette envolée, de cet enthousiasme, de cet engouement.
Créer des entreprises.
Les développer.
Les faire croître.
Bravo.
Tout ce qui peut aider les start-ups, les start-uppeurs/uppeuses, surtout en France où nous accusons encore du retard, est bienvenu.

MAIS

attention.
Cette course à la valorisation, cette obsession de la valorisation, peut devenir dangereuse.
Contre-productive.
Désolé d’être rabat-joie mais on l’a vu lors de l’explosion de la bulle internet.
Il faut de la croissance.
Mais il faut aussi de la rentabilité, aujourd’hui ou, au moins, demain.
Aujourd’hui, le critère de succès d’une start-up est bien souvent le montant de sa levée de fonds et sa valorisation.
Ce sont d’ailleurs les critères qui ont été retenus pour le Next40, le nouvel indice des “stars et futures stars de la tech”.
Mais le jour où pour des raisons exogènes, on n’arrive plus à lever de fonds, si on n’est pas rentable, c’est la fin de l’histoire.

LES MÉTHODES CLASSIQUES DE VALORISATION

Mais revenons à la valorisation.
Comment valorise-t-on une entreprise ?
Il existe trois méthodes classiques pour valoriser une société.
– La première, le DCF (Discounted Cash Flow) repose sur l’idée que la valeur d’entreprise est égale à l’ensemble de la trésorerie qu’elle générera jusqu’à la fin de sa vie… Cette méthode est considérée comme pertinente mais complexe à appliquer compte tenu de sa sensibilité aux hypothèses retenues des business plans souvent fantaisistes. Elle est néanmoins largement utilisée pour les sociétés cotées et est très couramment couplée à une autre méthode,
– La méthode des comparables: Plus simple à utiliser et relativement objective, elle permet d’évaluer une société par comparaison avec d’autres sociétés cotées similaires, de même activité et même secteur. Le multiple le plus connu est le PER (Price Earning Ratio). Il indique la valeur des capitaux propres à partir d’un multiple de son résultat net (un PER de 12 signifie que la société vaut 12x son résultat net). Et quand la société n’est pas rentable, on prend, de plus en plus souvent, un multiple du chiffre d’affaires.
– La méthode des transactions : elle consiste à prendre pour référence les transactions (cessions totales ou partielles) de sociétés comparables et appliquer les ratios. Avec des multiples de résultats, et, quand la société n’est pas rentable, encore une fois, des multiples de chiffre d’affaires.

MAIS TOUT CELA N’EST QUE THÉORIQUE

Une valorisation sur papier seulement.
Une valorisation “théorique”.
À quel moment a-t-on une valorisation réelle?
Quand on vend tout ou partie d’une entreprise en cash : si on vend une entreprise ou 30% d’une entreprise sur la base de X millions d’euros, pas de doute sur la valorisation.
Quand une société est cotée, il y a des transactions régulières, avec des fluctuations: si vous pouvez céder une partie ou acheter une partie du capital à un cours déterminé, c’est une valorisation réelle, pas toujours satisfaisante mais réelle.

LA OÙ ÇA SE CORSE

Quand une société non cotée, comme toutes les start-ups, lèvent de l’argent, en théorie, on est dans le cas d’une valorisation réelle.
Si quelqu’un est prêt à investir de l’argent, du cash, dans une société sur une valorisation donnée, c’est une validation de la valorisation.
Quand SoftBank met 5 milliards de dollars dans un WeWork valorisé à 47 milliards de dollars, WeWork vaut bien 47 milliards, non ?

EN THÉORIE SEULEMENT

De plus en plus de fonds qui entrent dans des sociétés ont tendance à accepter de mettre de l’argent à une valorisation faciale “élevée”, c’est bon pour l’image de la société et cela rassure/flatte les fondateurs et les actionnaires historiques.
Mais ils se protègent.
Avec des actions dites “de préférence”.
Si la société fait des résultats moins bons qu’anticipés, ils ont la capacité d’augmenter significativement leur part dans le capital et donc, de fait, de faire chuter la valorisation de la société.
Et, à la moindre difficulté, la licorne peut très vite se transformer en grenouille.
La grenouille et la licorne, c’est la version moderne de “La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf”.

L’EXEMPLE DE WEWORK

est spectaculaire.
Softbank a investi trois fois dans WeWork en 2 ans, la dernière fois 5 milliards de dollars, sur une valorisation de 47 milliards de dollars.
Confrontée à la Bourse, la valorisation de Wework s’est effondrée quelques mois après.
WeWork a dû repousser son introduction en Bourse car la valorisation “réelle” en Bourse n’était plus que de 15 milliards de dollars, voire de 10.

EN CONCLUSION

J’espère que vous comprenez mieux comment les entreprises sont valorisées.
J’espère que vous comprenez mieux pourquoi certaines valorisations qui sont affichées peuvent être remises en question.
J’espère que vous comprenez mieux pourquoi je suis inquiet de voir qu’on parle beaucoup de champions de la levée de fonds mais pas assez de champions de la croissance ET de la rentabilité.
Heureusement, il y en a.
Dans l’univers boursier.
Mais aussi dans l’univers du non côté.
Heureusement.
J’espère que je n’ai pas été trop long, ni trop technique.


LE MORNING ZAPPING par Marc Fiorentino


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